Chaque jour, vous utilisez des dizaines de puces électroniques sans même y penser. Dans votre smartphone, votre voiture, vos objets connectés, ces composants invisibles sont pourtant essentiels à notre monde moderne. Au cœur de cette révolution silencieuse se trouve le site de STMicroelectronics à Crolles, en Isère, véritable joyau industriel français. Avec ses milliers d’employés hautement qualifiés et ses infrastructures de pointe, ce campus représente un atout majeur pour la souveraineté technologique française et européenne. Dans un contexte mondial où la maîtrise des semi-conducteurs devient un enjeu géopolitique, Crolles s’affirme comme un pilier stratégique de notre indépendance numérique. Découvrons comment ce site isérois contribue à façonner l’avenir technologique de la France.
Dans cet article :
ToggleL’histoire du campus isérois : trois décennies d’innovation
L’aventure de STMicroelectronics à Crolles débute en 1992, dans le cadre du projet ambitieux baptisé « Grenoble 92 ». Cette initiative marque la naissance d’une collaboration fructueuse entre SGS-Thomson (qui deviendra STMicroelectronics) et le Centre National d’Études des Télécommunications (CNET). Le site s’implante stratégiquement dans la vallée du Grésivaudan, région déjà reconnue pour son expertise technologique.
En 1991, un accord de partenariat technologique est signé avec Philips Semiconductors, permettant à ce dernier de bénéficier dès 1993 de la nouvelle salle blanche de l’unité de R&D. Cette première phase, connue sous le nom de « Crolles 1 », se concentre sur la production de plaquettes de silicium de 200 mm (8 pouces). L’année 2002 marque un tournant décisif avec la création de l’Alliance Crolles2, réunissant STMicroelectronics, Motorola Semiconductors et TSMC. Cette collaboration aboutit à la construction d’une nouvelle unité de fabrication 300 mm, dans une salle blanche de 10 000 m². Le 12 février 2003, cette unité est inaugurée par Jacques Chirac, alors président de la République française, soulignant l’importance stratégique du site. Bien que NXP (ex-Philips) et Freescale (ex-Motorola) quittent l’Alliance fin 2007, le site poursuit son développement pour devenir aujourd’hui l’un des centres névralgiques de la microélectronique européenne.
Les capacités de production actuelles du complexe grenoblois
Le site de STMicroelectronics à Crolles constitue aujourd’hui l’un des centres de production et de recherche les plus avancés du groupe. En 2023, le complexe a produit environ 1,87 million de plaquettes équivalentes 200 mm (avec 20 niveaux de masques), témoignant d’une capacité industrielle considérable. Les infrastructures se composent principalement de deux unités de fabrication : l’une dédiée aux plaquettes de 200 mm, dont la production sera prochainement arrêtée dans le cadre de la réorganisation industrielle, et l’autre consacrée aux plaquettes de 300 mm, qui représente l’avenir du site.
Sur le plan humain, STMicroelectronics s’impose comme le premier employeur privé de l’Isère avec environ 7 500 salariés dans le département, dont plus de 5 000 à Crolles. Cette concentration de talents, répartis entre les sites de Crolles et de Grenoble, forme un pôle d’expertise unique en France. Le site grenoblois se concentre davantage sur la conception et le prototypage, tandis que Crolles assure la production à grande échelle. Cette complémentarité renforce l’efficacité globale du complexe, qui maîtrise l’ensemble de la chaîne de valeur, de la R&D à la fabrication des composants les plus avancés.
Les composants électroniques fabriqués : au cœur de la transition numérique
Le site de Crolles fabrique une vaste gamme de composants électroniques qui jouent un rôle fondamental dans notre quotidien. Ces puces, conçues sur des plaquettes de silicium de 200 mm et 300 mm, alimentent quatre secteurs stratégiques : l’automobile, l’industrie, l’électronique personnelle et les équipements médicaux. Dans le domaine automobile, les composants produits à Crolles équipent tant les véhicules thermiques que les véhicules électriques, contribuant directement à la transition écologique du secteur. Pour l’industrie, ils permettent l’automatisation des processus et l’optimisation énergétique des installations.
L’électronique personnelle constitue un autre débouché majeur, avec des puces qui alimentent nos smartphones, tablettes et objets connectés. Ces composants, toujours plus miniaturisés et économes en énergie, rendent possible l’Internet des Objets (IoT) et la transformation numérique de notre société. Dans le secteur médical, les puces fabriquées à Crolles équipent des dispositifs de diagnostic et de traitement, améliorant la précision des interventions et la qualité des soins. Cette diversité d’applications illustre le caractère essentiel de ces composants pour relever les défis de la transition numérique et écologique, positionnant Crolles comme un acteur incontournable de ces mutations.
Le grand projet d’extension : un investissement majeur pour l’avenir
En juillet 2022, STMicroelectronics et l’entreprise américaine GlobalFoundries ont annoncé un projet d’extension majeur du site de Crolles. Cette initiative ambitieuse, présentée en présence d’Emmanuel Macron, vise à doubler la capacité de production de plaquettes 300 mm. Initialement estimé à 5,7 milliards d’euros, l’investissement a été revu à la hausse en juin 2023 pour atteindre 7,5 milliards d’euros, témoignant de l’ampleur du projet et des ambitions des partenaires.
Ce développement devrait générer la création de 1 000 emplois directs et environ 3 000 emplois indirects, renforçant considérablement le tissu économique local. L’objectif est d’augmenter les capacités de production françaises de 620 000 wafers par an d’ici 2028. Le 5 juin 2023, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a annoncé le début de la production de cette nouvelle usine et signé le contrat d’aide de l’État au projet. Toutefois, des incertitudes planent actuellement sur l’implication future de GlobalFoundries. Selon certaines sources syndicales, l’entreprise américaine ne répondrait plus depuis fin 2023, et sa participation pourrait être reportée aux dernières phases du projet initialement prévues pour 2025-2026. Cette situation soulève des questions sur la dynamique du partenariat, même si STMicroelectronics affirme que « le projet se poursuit ».
La réorganisation industrielle en cours : nouveaux défis et opportunités
Le site de Crolles traverse actuellement une période de transformation profonde. Dans le cadre du plan de restructuration annoncé par STMicroelectronics en avril 2025, l’usine iséroise va devenir le principal site de production de plaquettes de silicium de 300 mm du groupe en Europe. Cette évolution s’accompagne d’un arrêt progressif de la production de plaquettes en 200 mm, technologie plus ancienne qui cède la place à des procédés plus avancés.
Cette réorientation stratégique introduit deux nouvelles activités sur le site. D’une part, Crolles deviendra le pôle européen de STMicroelectronics en matière de « tri électrique des plaquettes », c’est-à-dire le tri des puces fonctionnelles sur les plaques de silicium. D’autre part, le site développera une activité d’encapsulation avancée (mise en boîtier spécifique), une première en Europe. Cette transformation implique un changement de métier pour environ 1 000 salariés, qui passeront de la production à des activités de tri et d’encapsulation. Ce virage s’inscrit dans un contexte plus large de restructuration du groupe, qui prévoit jusqu’à 2 800 départs volontaires dans le monde sur trois ans, soit environ 6% de ses effectifs. Les syndicats s’interrogent sur les investissements qui accompagneront cette mutation, dont le montant devrait être dévoilé lors du prochain CSE central le 29 avril 2025.
L’ambition européenne : Crolles comme fer de lance de la souveraineté technologique
Le développement du site de Crolles s’inscrit pleinement dans la stratégie européenne de souveraineté technologique, matérialisée par le European Chips Act. Adopté en juillet 2023 par le Parlement européen, ce règlement vise à doubler la part européenne dans la production mondiale de semi-conducteurs, pour passer de 10% à 20% d’ici 2030. Cette ambition répond à un constat alarmant : pendant la pandémie, 45% des chaînes d’approvisionnement européennes ont été exposées à des pénuries de semi-conducteurs, révélant la dépendance du continent envers l’Asie et les États-Unis.
En parallèle, le plan France 2030 consacre 5 milliards d’euros au développement et à l’industrialisation de technologies électroniques. Le projet d’extension de Crolles constitue l’une des initiatives phares de cette stratégie, visant à augmenter de 90% la production française de composants électroniques. Le site isérois incarne ainsi la volonté de l’Europe de reprendre en main son destin technologique, dans un secteur où les investissements atteignent des sommes colossales – jusqu’à plusieurs dizaines de milliards d’euros pour les usines les plus avancées.
Site de production | Pays | Spécialité | Capacité de production |
---|---|---|---|
STMicroelectronics Crolles | France | Plaquettes 300 mm, technologies digitales | 14 000 à 20 000 plaquettes/semaine (objectif 2027) |
STMicroelectronics Agrate | Italie | Plaquettes 300 mm, technologies de puissance | Inférieure à Crolles |
Intel Leixlip | Irlande | Processeurs avancés | En expansion |
Infineon Dresden | Allemagne | Puces de puissance, automobile | Importante, en expansion |
L’écosystème local : un réseau d’innovation et de compétences
Le succès du site de Crolles repose en grande partie sur l’écosystème dynamique dans lequel il s’inscrit. Implanté dans la vallée du Grésivaudan, à une vingtaine de kilomètres de Grenoble, le campus bénéficie d’un environnement scientifique et industriel exceptionnel. Depuis trois décennies, STMicroelectronics a tissé des liens étroits avec les universités locales, les centres de recherche, les pôles d’innovation et les collectivités territoriales, créant une synergie unique en France.
Cette collaboration multiforme permet un transfert continu de connaissances et de technologies entre la recherche fondamentale et les applications industrielles. Les laboratoires grenoblois, reconnus mondialement pour leur expertise en microélectronique, alimentent le site en innovations de pointe. En retour, STMicroelectronics offre des débouchés concrets aux chercheurs et attire des talents du monde entier. Cette proximité entre recherche et industrie constitue un avantage compétitif majeur pour Crolles, facilitant l’adaptation aux évolutions technologiques et aux besoins du marché. L’écosystème local comprend un réseau dense de fournisseurs spécialisés et de start-ups innovantes qui complètent la chaîne de valeur et renforcent la résilience du site face aux défis internationaux.
Les enjeux environnementaux : concilier haute technologie et développement durable
La fabrication de semi-conducteurs pose des défis environnementaux considérables que STMicroelectronics s’efforce de relever sur son site de Crolles. La production de puces électroniques nécessite d’importantes quantités d’eau, d’énergie et de produits chimiques, dont l’impact doit être maîtrisé. Face à ces enjeux, l’entreprise a développé une stratégie environnementale ambitieuse, alignée avec l’objectif du groupe d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2027.
L’un des axes majeurs de cette politique concerne la gestion de l’eau. Dans le cadre du projet d’extension, STMicroelectronics prévoit de doubler les volumes d’eau recyclée, passant de 3 millions de m³ par an en 2022 à 6 millions de m³ par an, afin de limiter les besoins en eau potable. Cette initiative s’inscrit dans une démarche plus large de développement durable, certifiée par la déclaration environnementale EMAS du site. Voici les principales initiatives environnementales mises en œuvre à Crolles :
- Mise en place d’un système de recyclage avancé des eaux industrielles
- Optimisation énergétique des installations de production
- Traitement spécifique des émissions atmosphériques issues des procédés
- Réduction et valorisation des déchets industriels
- Approvisionnement progressif en énergie 100% renouvelable
L’avenir du site : objectifs et défis à l’horizon 2030
L’avenir du site de Crolles s’articule autour d’objectifs ambitieux à moyen terme. STMicroelectronics vise à atteindre un rythme de production de 14 000 plaquettes par semaine d’ici 2027, avec la possibilité de monter jusqu’à 20 000 plaquettes hebdomadaires selon les conditions du marché. Cette montée en puissance s’inscrit dans la stratégie globale du groupe, qui aspire à réaliser un chiffre d’affaires de 18 milliards de dollars en 2027-2028, puis d’atteindre les 20 milliards de dollars à l’horizon 2030.
Pour concrétiser ces ambitions, le site devra relever plusieurs défis majeurs. Le premier concerne la concurrence internationale, particulièrement intense dans un secteur où les acteurs asiatiques et américains investissent massivement. Le deuxième défi porte sur l’évolution technologique rapide, qui exige une adaptation constante des procédés et des équipements. Enfin, la formation et la rétention des talents constitueront un enjeu crucial, alors que le site traverse une période de transformation profonde avec l’arrêt de la production en 200 mm et le développement de nouvelles activités. Malgré ces défis, les atouts du site – son expertise technique, son écosystème d’innovation et le soutien des pouvoirs publics – lui confèrent des perspectives favorables dans un marché mondial des semi-conducteurs qui devrait doubler entre 2022 et 2030.